LA NOURRICERIE

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Semaine 2 sur les communs nourriciers
Bascule Argoat, septembre 2024

C’est la dernière semaine de l’été. Le Pays COB brille de mille feux. Il ne brille pourtant pas par ses politiques publiques-privées : usines à viande, mine d’andalousite, sapinières de Noël, contournement du Faouët, artificialisation des sols et pollutions. Mais tout au fond du pays Cob brillent quand même un certain lac et une certaine bâtisse, installées là depuis bien longtemps… La dernière semaine de l’été de l’année 2024, Bascule Argoat l’avait dédiée aux « communs nourriciers ». Glanage, troc, potager collectif, woofing, cantine autogérée, sécurité sociale de l’alimentation… Tout le contraire du privé pourri-vicié qu’on voit partout. Heureusement, rien n’a été perdu. Comme disait Proudhon : « Au-dessous de l’appareil gouvernemental, à l’ombre des institutions politiques, loin des regards des hommes d’État et des prêtres, la société produisait lentement et en silence son propre organisme ». Jamais nulle part les gens n’avaient vraiment arrêté de se nourrir les un.es les autres tout en nourrissant la nature qui les nourrissait.

Le brief du porte-à-porte a lieu au bord de l’étang. « Le but, c’est d’inviter les gens à la fête de la châtaigne, explique Sacha. Et aussi de leur poser quelques questions sur leurs relations de voisinage, si iels font pousser des légumes seul.es ou à plusieurs et si iels aimeraient s’investir dans des activités nourricières collectives. » Dans l’équipe, plusieurs ont déjà fait du porte-à-porte, notamment avec le Nouveau Front Populaire. On partage des techniques d’abordage et des techniques pour couper court. Samedi, 10h. Une dizaine de vélos prend la route de Priziac, le village le plus proche. Vingt minutes de montées et descentes et nous voilà dans la rue principale. Comme elle a déjà été bien porte-à-portée la dernière fois, on se disperse dans les rues adjacentes. Romane et moi on a pioché la deuxième moitié de Kervrazo. Nous sommes un duo expérimenté : c’est une ex-pro du game, et j’ai l’habitude de demander aux gens le transport, le gîte et le couvert. C’est parti ! Les deux premières portes restent fermées, mais la troisième s’ouvre sur une octogénaire intriguée. Elle cultive encore son jardin et ça lui fait ses légumes de l’année ! Impressionné.es, on l’invite à manger des châtaignes le 26 octobre. Ça lui dit trop rien, mais si c’est dans le journal et que ça a lieu à Priziac, elle y réfléchira. Pas mal. Deux-trois maisons vides plus loin, on aborde directement un vieux couple dans son garage. Mêmes réponses que leur voisine, mais on sent que ça leur fait du bien de parler de leur vie. Lui a perdu la plupart de ses doigts à la scierie, elle répète que c’est vraiment pas facile avec le prix de la nourriture. Pour notre dernier candidat, Roro la pro du po-po se risque dans un jardin (personne a de sonnette ici ou quoi ??). C’est payant : on a un volontaire pour la châtaigne party !! Rémi est un cycliste bavard qui fait 10 ans de moins et parle 10 fois trop pour les portistes timés que nous sommes. On profite d’un nuage un peu noir au loin pour mettre un terme à ses histoires de Ker Cadélac, de Madagascar et du Burkina.

On est jeudi et c’est le jour de la plantation. La Société coopérative d’intérêt commun (SCIC) d’Alain et Jeff a acquis une belle parcelle de prairie et aimerait bien commencer à la nourrir. Pour cette journée de chantier, on va planter des arbres fruitiers, une haie et des serres. Je choisis l’équipe haie, même si personne n’a bien compris où il fallait la faire. Par deux, on se met à la recherche des petits chênes verts qui ont poussé sur le terrain. On choisit notre outil : pelle-bêche, fourche-bêche, mains gantées ou pas. On creuse jusqu’au bout de leur racine-pivot, qui est aussi loin qu’ils sont grands. Enfin, on les emmène en bas du terrain, pour recréer la haie qu’il y avait sûrement avant. Elle retiendra la terre, qui est profonde et riche. La meilleure partie du job, c’est de trouver un nom aux petits transplantés. Johanna baptise « Chêne Hi-Fi », Sacha « Julia », en hommage à la ZAD69, moi « Mylène Fermière » et Romane « Déchaîné », comme un poème qu’elle a écrit et qui finit par : « Il croît en la vie ». À 13h, on part pour l’espace Kdoret, à Rostrenen. On se laisse nourrir de ratatouille. On avait faim. Notre travail a été individuellement faible mais collectivement énorme. Avant de retourner au turbin, Alain nous fait visiter le potager de la SCIC, à la sortie de la ville. Certain.es en profitent pour faire la sieste dans l’herbe grasse, d’autres s’extasient sur la courgette d’Alain, qui fait au moins 50 cm. Le temps qu’il reste, on finit plus ou moins ce qu’on a commencé dans la prairie, et Jeff répond aux questions à propos de la SCIC. Sur le retour, probablement pressée d’être nourrie à son tour, Kalena passe la tête au niveau de la banquette arrière, comme l’âne dans Shrek.

Le troisième gros truc food de la semaine, c’est le rassemblement pour le vote du SCOT, le Schéma de COhérence Territoriale pour les vingt prochaines années. Ouest-France raconte : « Le coup de massue est tombé sur la tête des élus du pays COB » (centre-ouest Bretagne). Ça me fait revenir quelques siècles en arrière, au royaume de Camelot. Le matin, pendant que d’autres rangent la livraison de bois pour l’hiver, on prépare des pancartes : « Déni démocratique », « No Scotaran », « Schéma de Co-ingérence Territoriale », « Des Montagnes Noires à la rivière Ellée, pays Cob will be free », « Touche pas à ma zone humide »… Sophie est aussi douée pour les slogans qu’efficace sur leur design. À côté, on est 2-3 « mecs » à proposer de vagues idées sans se décider à leur donner vie. Ça me rappelle un chantier participatif où un habitant disait que les habitantes de la maison préféraient avancer les travaux que viser la perfection, alors que les habitants avaient tendance à fignoler, ce qui prend plus de temps. Les restes de nos éducations genrées. Une fois de plus, la maison se partage. Côté cuisine, l’équipe de la Super Cantine Autogérée Toutepleinedamour prépare des cookies. Côté jardin, la chorale répète : C’est la faute au remembrement
​Si l’eau disparaît des fontaines,
C’est la faute au gouvernement ​
Si plus rien n’arrête le vent !


Et nous voici à Gourin, petite ville et petite statue de la liberté. Le conseil se réunit dans la salle des fêtes, bâtiment récent à l’écart des habitations. Une vraie chorale est là. Elle chante dans plein de langues régionales. Les membres du collectif « H comme habitant.es » font une haie aux élu.es. On remarque ceux dont la tête a été massée par la commission d’enquête. La foule crie : « Votez bien, pensez à nous ! ». Je rentre écouter les discussions avec Roro (qui est aussi une pro du Scot), d’autres curieuses et des journalistes. Des entrepreneurs dynamiques reçoivent le soutien public pour leurs offres éco-mobiles. Ça y est ! ça discute du Scot. La fanfare est arrivée juste à temps :
– Est-ce qu’on pourrait enlever cette musique ? ça m’empêche de me concentrer, pleurniche le maire de Plouray.
– On peut pas l’enlever, c’est dehors, c’est eux…

Je vous passe les détails des discussions. Ce qui est clair, c’est que les élu.es du pays Cob n’aiment pas beaucoup que des urbanistes indépendant.es donnent un avis défavorable à leurs beaux projets d’artificialisation agricole et urbaine des terres. Mais ça y est, c’est voté à l’unanimité : le travail sur le Scot est prolongé jusqu’à 2025. « Rien n’est gagné, tempère monsieur H. comme Habitant. Il faut maintenir la pression. Les élu.es n’ont même pas parlé des trois ans de travail citoyen ! Le Scot doit tenir compte de ça ! » On repart, bien décidé.es à revenir. On ne pouvait pas attendre mieux d’un tel vote… mais ça aurait fait plaisir quand même.

La semaine se termine et il est temps de parler de l’avenir de la Commune nourricière que nous sommes. C’est peut-être le moment de penser à changer le nom de la maison. « Bascule Alimentaire » serait une belle continuité de Riposte Alimentaire. Mais c’est justement avec l’histoire peu inclusive de la Bascule de Pontivy qu’on veut couper. Je propose timidement la Verdisserie, en référence à la blanchisserie qui était là avant. Lise, qui avait déjà beaucoup réfléchi, en plus de prendre les notes de notre bouillon de cerveaux, a une illumination : « Et si on s’appelait la Nourricerie ? ».

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